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de sirènes l’ouverture des ponts-tournants. Des remorqueurs aux cheminées rouges passaient à toute vitesse, berçant le Razzle-Dazzle dans leur sillage. Un bateau sucrier sortait du « Boneyard », en remorque vers la mer. Le soleil miroitait sur la surface ondulée et la vie était grandiose.

L’Araignée chantait :

— Je te trouve enfin, Loulou-la-négresse !
Où donc étais-tu, ma belle maîtresse ?

J’étais en prison,

J’attendais ma rançon,
Espérant sans cesse

Ton retour, beau garçon !

Le voilà bien, le stimulant de l’esprit de révolte, d’aventure, de romanesque, des choses interdites et accomplies avec défi et noblesse. Je savais que le lendemain je ne reprendrais pas ma place à la machine, dans la fabrique de conserves. Demain, je serais un flibustier, aussi libre qu’on peut l’être dans notre siècle et dans les parages de San-Francisco. L’Araignée avait déjà accepté de constituer à lui seul tout mon équipage et de faire la cuisine pendant que j’accomplirais la manœuvre du pont. Dès Je matin, nous devions embarquer des vivres et de l’eau, hisser la grand voile (le plus gros morceau de toile sous lequel j’eusse jamais navigué), franchir l’estuaire à la première brise de mer, à la fin du jusant. Alors nous larguerions la toile, et, dès le retour du flot, nous descendrions la baie jusqu’aux îles des Asperges, où nous mouillerons à quelques milles du rivage.

Enfin mon rêve se réalisait ! J’allais dormir sur l’eau, m’éveiller sur l’eau, sur l’eau je passerais ma vie !

Au moment où French Frank, au coucher du soleil, se préparait à reconduire ses invités à terre, la Reine me pria de l’emmener dans mon canot. Et je ne compris pas pourquoi il modifiait si brusque-