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bond. Je perdis l’équilibre et plongeai, la tête en avant, dans la purée. Alors, pour la première fois, tandis que je me débat tais pour me remettre sur pied, couvert de boue, le sang coulant le long de mes bras écorchés contre un pieu incrusté de bernicles, je m’aperçus que j’étais ivre. Mais qu’importait ? De l’autre côté du chenal, deux solides matelots restaient étendus, sans connaissance, dans leurs couchettes où je les avais enivrés. J’étais un homme. Je tenais toujours sur mes jambes, même avec de la vase jusqu’aux genoux. Je repoussai dédaigneusement l’idée de remonter dans mon canot. Je me mis à patauger à travers la boue, poussant mon esquif devant moi et entonnant au monde l’hymne de ma virilité.

Je devais payer cette folie. Je restai deux jours malade, abominablement malade, et j’eus les deux bras infectés par les égratignures de bernicles. Ils me faisaient si mal que, pendant une semaine, je ne pus m’en servir, et j’éprouvais une torture à mettre et ôter mes habits.

Jamais plus on ne m’y reprendrait, j’en faisais le serment. Le jeu n’en valait pas la chandelle. Le prix était exorbitant. Cependant, je n’avais pas de nausées morales ; ma répulsion était purement physique. Les moments d’exaltation auxquels j’avais goûté ne compensaient nullement ces heures de misère et de souffrance.

Lorsque je retournai à mon canot, j’évitai l’Idler. Je faisais un détour de l’autre côté du chenal. Scotty avait disparu. Le harponneur se trouvait toujours dans les parages, mais je me gardais de le rencontrer. Une fois, il descendit sur le quai, je me cachai dans un hangar. Je craignais qu’il ne me proposât encore à boire, peut-être même avait-il une bouteille de whisky dans sa poche.

Et pourtant — ici entre en jeu la sor-