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eu des revers de fortune, s’était privée afin de payer en une fois la somme exigée par les armateurs pour son apprentissage, et dont le rêve avait été de se sacrifier pour faire de lui un officier de marine marchande et un monsieur. Elle avait eu le cœur brisé en apprenant qu’il avait déserté son bateau en Australie et repris du service comme simple matelot. Et Scotty nous le prouva par une lettre qu’il sortit de sa poche, la dernière lettre de sa mère, tout empreinte de tristesse, et ses pleurs redoublèrent lorsqu’il la lut à haute voix.

Le harponneur et moi joignîmes nos larmes aux siennes, et nous jurâmes tous trois de nous embarquer sur la baleinière Bonanza, de rapporter une grosse paye et, toujours ensemble, d’accomplir un pèlerinage jusqu’à Edimbourg pour déposer notre trésor dans le giron de la vénérable dame.

À mesure que John Barleycorn s’insinuait dans mon cerveau et commençait à l’échauffer, il faisait fondre en moi toute réticence et s’évaporer toute modestie. De venu mon frère jumeau et mon alter ego, il m’inspirait les paroles qui sortaient de mes lèvres. J’élevai la voix, moi aussi, pour faire voir que j’étais un homme et un aventurier. Je me vantai, avec force détails, d’avoir traversé la baie de San-Francisco, dans un effroyable coup de suroît, sur mon esquif découvert, à l’ébahissement des matelots mêmes de la goélette-vigie.

Mieux encore : moi ou John Barleycorn — car nous ne faisions qu’un, — nous disions à Scotty qu’il pouvait bien être un marin de haute mer et connaître jusqu’à la moindre ficelle des grands navires, mais, pour ce qui était de la manœuvre d’un petit bateau, je me chargeais de le battre haut la main et de décrire des cercles autour de lui dans mon canot.