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désormais, je profitai de son absence pour faire payer la facture par le garçon.

Le jour où je fus embauché au jeu de quilles, le patron, suivant la coutume, fit appeler tous les jeunes gens qui, pendant des heures, avaient ramassé les quilles, pour leur servir une consommation. Les autres demandèrent de la bière. Moi je pris du ginger-ale. Mes camarades ricanèrent et je vis l’hôtelier m’observer d’un œil étrangement scrutateur. Néanmoins, il déboucha une bouteille de ginger-ale. De retour dans les allées du jeu de quilles, pendant les pauses, mes jeunes compagnons m’ouvrirent les yeux. J’avais offensé l’aubergiste. Une bouteille de ginger-ale coûtait beaucoup plus à l’établissement qu’un bock, et, si je tenais à ma place, je n’avais qu’à faire comme eux. De plus, la bière était nourrissante. Elle me donnerait des forces pour travailler. Quant au ginger-ale, il ne contenait aucun aliment.

Après cela, quand je ne pouvais m’esquiver, je buvais de la bière et je me demandais ce que les hommes y trouvaient de si bon. Il me semblait toujours que je n’étais pas bâti comme tout le monde.

Franchement, ce que je préférais à tout, en ce temps-là, c’était le candi. Pour cinq cents, je pouvais en acheter cinq gros morceaux, que nous appelions des boulets de canon, et qui se laissaient savourer avec une lenteur délicieuse. Je m’arrangeais pour mâcher et triturer un de ces berlingots pendant une heure entière.

Il y avait aussi un Mexicain qui vendait de grosses plaques brunes de caramel mou, à cinq cents la pièce. Il fallait exactement le quart d’une journée pour en venir à bout. Et bien des fois je n’ai déjeuné qu’avec une de ces tablettes. À vrai dire, je trouvais cela plus nourrissant que la bière.