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nesques : ils étalent légaux, autorisés et sanctionnés par les pères de la cité. Était-ce donc là ces lieux terribles imaginés par les camarades qui n’avaient pas comme moi l’occasion d’y pénétrer ? Peut-être étaient-ils terribles, oui, mais terriblement merveilleux, et c’est précisément ce genre de terreur qu’un gosse aspire a connaître. Dans le même sens, les pirates, les naufrages et les batailles sont choses effrayantes, mais où est le jeune gaillard qui ne donnerait pas son âme au diable pour participer à de pareilles aventures ?

Dans les cafés, je rencontrais des reporters, des rédacteurs, des avocats, des juges dont le visage et le nom m’étaient familiers. Leur présence constituait une approbation sociale ; ils justifiaient cette fascination que les cafés exerçaient sur moi. Eux aussi devaient y découvrir ce quelque chose de différent, de lointain, que je sentais et cherchais à saisir. J’ignorais ce que c’était au juste, mais surement cela existait, car ici les hommes grouillaient comme des mouches bourdonnantes autour d’un pot à miel. Je n’avais aucun chagrin, le monde resplendissait à mes yeux ; comment aurais-je pu concevoir que ces hommes venaient chercher l’oubli leur surmenage et de leurs rancœurs ?

Je n’y venais pas pour boire, en temps-là. De dix à quinze ans, j’ai rarement touché un verre d’alcool ; mais j’avais constamment affaire avec des buveurs et dans les cabarets. La seule raison qui me retenait était mon dégoût pour les spiritueux. Au cours du temps, je fis divers métiers : j’aidai à décharger de glace, je relevai les quilles dans un lieu attenant à une auberge, je balayai les salles et les pelouses où les gens venaient le dimanche en pique-nique.