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tout, mais je m’attachais surtout à l’histoire, aux aventures et aux anciens voyages sur terre et sur mer. Je lisais le matin, l’après-midi et la nuit. Je lisais au lit, à table, en allant à l’école et en en revenant, je lisais aux récréations, pendant que mes camarades s’amusaient. Je commençais à avoir les nerfs agités. Je répondais à tout le monde : « Allez-vous-en ! Vous m’agacez ! »

Et puis, à dix ans, me voila dans les rues à crier les journaux. Je n’avais plus le temps de lire. J’avais trop à faire : courir, apprendre à me battre, à devenir osé, insolent et vantard. Mon imagination et mon envie de tout connaître me firent un esprit plastique.

Les cabarets n’étaient pas la moindre des attractions qui excitaient ma curiosité. Combien en ai-je fréquentés ? En ce jour-là, je m’en souviens, — il y avait, à l’est de Broadway, entre la sixième et la septième rue, un énorme pâté de maisons dont les boutiques, d’un coin à l’autre, n’étaient que buvettes.

Les hommes élevaient la voix, riaient à gorge déployée, et il y régnait une atmosphère de grandeur. Cela tranchait sur l’existence quotidienne, vide d’événements. La vie était toujours mouvementée, parfois même tragique, lorsque les coups pleuvaient, que le sang giclait et que de solides policemen faisaient irruption en masse. Ces minutes mémorables, pendant les quelles défilaient dans ma tête les rixes sauvages et les valeureuses équipées de tous les aventuriers de terre et de mer, contrastaient avec les heures insipides où, cheminant le long des rues, je lançais mes journaux sur le pas des portes. Dans les tavernes, les abrutis mêmes vautrés sur les tables ou dessous, dans la sciure, prenaient pour moi un attrait mystérieux.

Les bars n’étaient pas seulement roma-