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donnait qu’un, mais quel luxe fabuleux pour moi ! Les hôtelleries au moins servaient à quelque chose !

Quand je reprenait ma place derrière les chevaux de trait, je faisais durer une heure cet unique cracker. J’en recueillait méticuleusement les moindres bribes les mâchais jusqu’à les réduire à la plus fine et la plus délectable des pâtes, que je n’avalais jamais de mon propre gré. Je me contentais d’y goûter, et je continuais à la savourer en la retournant sur ma langue, en l’étalant contre une joue, [illisible] l’autre, jusqu’à ce qu’enfin elle s’échappât en gouttelettes et suintements qui me glissaient dans la gorge.

Je n’avais rien à apprendre d’Horace Fletcher[1] en matière de soda crackers.

J’aimais les estaminets, en particulier ceux de San Francisco. Là s’étalaient les plus délicieuses friandises : pains de fantaisie, crackers, fromages, saucisses, sardines, toutes sortes de mets étonnants que je n’avais jamais vus sur notre pauvre table.

Je me souviens qu’une fois un tenant de bar mélangea, pour moi, une boisson hygiénique de sirop et de soda-water ; Mon père ne la paya pas. C’était la tournée du bistro, je l’idéalisai depuis comme le type du brave homme. Pendant des années, ce personnage hanta mes rêveries Je n’avais que sept ans à l’époque et je puis encore me le représenter nettement bien que je n’aie jamais levé les yeux sur lui que ce jour-là.

  1. Célèbre hygiéniste américain qui préconisait la mastication des aliments, (N. D. T.)