Page:London - La saoulerie américaine, trad Postif, paru dans L'Œuvre du 1925-11-03 au 1926-01-05.pdf/3

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chaud que j’avais bu plusieurs verres avant même de jeter mon bulletin dans l’urne, et pas mal d’autres après le vote. Puis j’avais traversé, toujours à cheval, les collines couvertes de vignes et les prairies onduleuses du ranch, et j’arrivais à point pour l’apéritif et le dîner.

— Comment as-tu voté sur le suffrage des femmes ? me demanda Charmian.

— J’ai voté pour.

Elle poussa une exclamation de surprise. Je dois dire que, dans ma jeunesse, malgré mon ardente foi démocratique, je m’étais déclaré adversaire du vote féminin. Quelques années après, devenu plus tolérant, je l’avais accepté sans enthousiasme, comme un phénomène social inévitable.

— Explique-moi donc pourquoi tu as voté pour insista Charmian.

Je lui répondis : je lui répondis copieusement, je lui répondis avec de l’indignation. Plus je parlais, plus je m’indignais. (Non, je n’étais pas ivre. La jument que je venais de monter portait le nom justifié de « Hors la Loi », et je voudrais bien voir un pochard capable de la chevaucher.)

Cependant — comment m’exprimer ? — je me sentais « bien », j’étais allumé, agréablement éméché.

— Quand les femmes iront à l’urne, elles voteront pour la prohibition, dis-je. Ce sont les épouses, les sœurs et les mères, et elles seulement, qui enfonceront les clous dans le cercueil de John Barleycorn…

— Mais je te croyais son ami, interrompit Charmian.

— Oui, je le suis, je l’étais. C’est-à-dire, non. Je ne le suis jamais. Jamais je n’éprouve moins d’amitié pour lui que lors qu’il est en ma compagnie et quand j’ai l’air de lui être le plus fidèle. Il est le roi des menteurs et, en même temps, la fran-