Comment me réjouir, sachant, dès le départ
Que mes pieds ne pourront s’arrêter nullepart ?
Le matin, sitôt né, perd sa fraîcheur première,
Parce qu’il doit remplir le monde de lumière.
C’est quand il est paré des plus riches couleurs
Que l’arc-en-ciel s’efface et se résout en pleurs.
Ma jeunesse a le prix fragile d’une rose
Qui commence à mourir le jour qu’elle est éclose.
CHAPITRE XXXVIII
Les seuls remèdes
Ce qui précède est un échantillon de mes divagations crépusculaires avec la Raison pure. J’ai essayé de mon mieux de faire entrevoir en quelques minutes l’intimité d’un homme qui partage sa demeure avec John Barleycorn : mais le lecteur devra se souvenir que cet état d’esprit n’est qu’une des mille humeurs diverses de ce personnage, fantaisies dont la procession peut se dérouler pendant des heures et des jours, des semaines et des mois.
Mes mémoires alcooliques tirent à leur fin. Je puis affirmer, comme tous les solides buveurs, que, si je suis encore en vie sur cette planète, je dois cette chance peu méritée à ma large poitrine, à mes fortes épaules, à ma saine constitution. J’ose dire qu’une bien faible proportion de jeunes gens de quinze à dix-sept ans auraient pu résister aux débordements d’intempérance auxquels je me suis livré, précisément dans cette période de formation, et qu’une faible proportion d’hommes faits, s’adonnant à l’alcool avec autant de fougue que je m’y suis abandonné dans ma virilité, auraient survécu pour raconter leur histoire. Je m’en suis tiré, non pas grâce à une vertu personnelle, mais parce