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les étagères de la bibliothèque. Regarde-les, tous ces tristes spectres de désespérés, d’affolés, de rebelles passionnée, tes Schopenhauer, tes Strindberg, tes Tolstoï et tes Nietzsche.

« Allons, ton verre est vide. Remplis-le et oublie. »

J’obéis, car maintenant les larves éveillées par l’alcool grouillent bien dans ma cervelle ; et, en portant un toast aux tristes penseurs alignés sur mes rayons, je me souviens des paroles de Richard Hovey :

Ne nous abstenons pas. Car la vie et l’amour
S’offrent à nous, ainsi que la nuit et le jour,
A des conditions qui ne sont pas les nôtres.
Acceptons leurs faveurs, sans en exiger d’autres.

Avant d’être acceptés par les vers du tombeau.

— Je t’aurai ! me crie la Raison pure.
Les larves m’affolent. Je lui réponds :
— Non, je te connais pour ce que tu es,
et je n’ai pas peur. Sous ton masque d’hédonisme, tu es toi-même la Camarde et ta route mène à la Nuit. L’hédonisme n’a pas de sens. Cela aussi est un mensonge, ou tout au plus un compromis coquet de la lâcheté.

— Je vais t’avoir tout de suite ! interrompt la Raison pure.

Toutefois, si le jour ne te semble pas beau.
Pour que d’aucun réveil la nuit ne soit suivie,
Tu n’as, quand tu voudras, qu’à terminer ta vie.

Alors j’éclate d’un rire de défi. Car je viens de surprendre la Raison pure en flagrant délit d’imposture, en train de murmurer ses mortelles suggestions. Elle a eu le tort de se démasquer elle-même, elle s’est trahie par sa bienveillante chimie ; c’est la morsure de ses propres larves qui a réveillé les vieilles illusions, qui a ras-