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épreuve et des cris perçants que poussaient les filles en essayant de l’entraîner.

Puis tout retombe dans l’ombre, mais j’ai appris plus tard que Larry s’était glissé sous le pont et y était resté jusqu’au matin.

Quand je repris mes sens, il faisait nuit. On m’avait porté, inconscient, pendant quatre milles et mis au lit. J’étais un gosse bien malade, et, malgré la terrible fatigue de mon cœur et de mes muscles, je retombais continuellement dans le délire. Tout ce que ma cervelle enfantine recelait d’horrible et de terrifiant se répandait au dehors. Les visions les plus épouvantables devenaient autant de réalités. Je voyais se commettre des crimes et des assassins me poursuivre. Je me débattais en poussant des cris et des râles. Mes souffrances étaient prodigieuses.

En sortant du délire, j’entendais ma mère dire : « Qu’a-t-il donc au cerveau Le pauvre enfant a perdu la raison. » Et en y retombant j’emportais cette idée avec moi et me voyais emmuré dans un asile d’aliénés, battu par les gardiens, entouré de fous furieux dont les hurlements m’assourdissaient.

Certaine conversation de mes aînés, au sujet des bouges infects du quartier chinois de San-Francisco avait laissé une profonde impression dans mon jeune esprit. Pendant mon délire, j’errais à travers un dédale de ces bouges souterrains ; derrière des portes de fer, je subissais des tortures et des milliers de morts. Puis je rencontrais mon pare, assis à table, dans ces cryptes profondes en train de jouer de fortes sommes avec les Chinois ; alors mon indignation se donnait libre cours et je préférais les plus basses injures.