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tible : je titubai moi-même jusqu’au bord du fossé, avec la ferme intention de ne pas aller plus loin, mais c’est au fond que je repris connaissance, entouré de plusieurs jeunes filles qui, l’anxiété peinte sur le visage, s’activaient à me sortir de là.

Je n’éprouvais désormais nulle envie de jouer à l’homme ivre ; je n’y voyais plus aucune drôlerie. Mes yeux commençaient à chavirer et, la bouche grande ouverte, je réclamais de l’air. Deux fillettes me prirent par les mains pour me conduire, mais mes jambes étaient de plomb. L’alcool absorbé semblait m’asséner des coups de massue sur le cœur et le cerveau. Si j’avais été un enfant chétif, il est certain que cela m’aurait tué ; en tout cas, j’étais plus près de la mort que ne pouvait se l’imaginer aucune des jeunes filles, épouvantées de me voir dans cet état. Je les entendais se chamailler pour savoir qui en était responsable ; certaines pleuraient — pour elles-mêmes, pour moi, et pour la façon ignoble dont leurs amoureux s’étaient conduits. Mais tout cela ne m’intéressait pas ; je suffoquais ; je voulais de l’air. Au moindre mouvement je ressentais une véritable torture et je haletais davantage. Cependant ces filles persistaient à me faire marcher, et il nous restait quatre milles à parcourir avant d’arriver à la maison. Quatre milles ! Je me souviens d’avoir aperçu, de mes yeux noyés dans le vague, un petit pont traversant la route à une distance qui me parut infinie, bien qu’elle ne fût que d’une centaine de pieds. Quand je l’atteignis, je m’effondrai par terre et me retournai sur le dos, étouffant. Les filles essayèrent de me relever, mais je restai inerte. Leurs cris d’alarme amenèrent Larry, un jeune pochard de dix-sept ans, qui se mit à sauter à pieds joints sur ma poitrine pour me rappeler à la vie. Je me souviens vaguement de cette