Page:London - La saoulerie américaine, trad Postif, paru dans L'Œuvre du 1925-11-03 au 1926-01-05.pdf/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lien situé à quatre milles de là, où elles pourraient faire une partie de danse. Aussitôt, deux par deux garçons et filles s’éloignèrent et descendirent la route sablonneuse. Chaque gars marchait avec sa bonne amie — croyez bien qu’un gosse de sept ans écoute et connaît les affaires amoureuses des gens de sa campagne. — D’ailleurs moi aussi j’avais une bonne amie. Une petite Irlandaise de mon âge m’accompagnait. Nous étions les seuls enfants dans cette kermesse improvisée. Le couple le plus âgé pouvait avoir vingt ans. Des gamines délurées de quatorze à seize ans, tout à fait formées, marchaient avec leurs galants. Nous étions les seuls bambins, cette petite Irlandaise et moi, et nous allions la main dans la main : parfois même, à l’instar de nos aînés, je lui passais le bras autour de la taille. Mais je trouvais la posture incommode. Néanmoins, je me rengorgeais, par cette radieuse matinée de dimanche, de descendre la route longue et monotone entre les dunes de sable. Moi aussi, j’avais ma connaissance et j’étais un petit homme.

Le ranch italien était un établissement de célibataires. Aussi notre entrée fut-elle saluée par des cris de joie. Le vin rouge fut versé dans tous les gobelets, et la longue salle à manger débarrassée en partie pour le bal. Et les gars trinquèrent et dansèrent avec les jeunesses aux sons de l’accordéon. Cette harmonie me semblait divine. Je n’avais rien entendu d’aussi magnifique. Même le jeune Italien qui la prodiguait se leva et se mit à danser, entourant de ses bras la taille de sa cavalière et jouant de son instrument derrière son dos. Tout cela me paraissait merveilleux, à moi qui ne dansais pas ; assis à une table, les yeux écarquillés, je m’efforçais de pénétrer cette chose stupéfiante qu’est la vie. Je n’étais qu’un petit