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rappelai comment on s’y prenait pour faire mousser à nouveau la bière reposée ; je pris un bâton et remuai le reste jusqu’à ce que l’écume atteignit le bord.

Mon père ne s’aperçut de rien. Il vida le seau avec la soif ardente du laboureur qui transpire, me le repassa, et reprit sa place derrière les chevaux. Je m’efforçai de marcher à côté de ceux-ci. Je me sens encore titubant et tombant contre leurs sabots, devant le soc luisant de la charrue, et je vois mon père tirer si violemment sur les rênes que les bêtes faillirent s’écrouler sur moi. Il m’a dit ensuite qu’il s’en était fallu de quelques pouces que je fusse éventré. Je me souviens vaguement aussi qu’il me transporta dans ses bras vers les arbres qui se trouvaient à l’orée du champ, que le monde entier tournait et tanguait autour de moi, et que j’étais pris de mortelles nausées auxquelles s’ajoutait la consternation de la faute que je savais avoir commise.

Je passai l’après-midi à dormir sous les arbres et, quand mon père m’éveilla au soleil couchant, ce, fut un petit garçon bien malade qui se leva et se traîna péniblement jusqu’à la maison. J’étais épuisé, opprimé par le poids de mes membres, et dans mon ventre je sentais une vibration semblable à celle d’une harpe qui me montait à la gorge et au cerveau. Mon état ressemblait à celui de quelqu’un qui vient de se débattre contre le poison. En réalité, j’avais été intoxiqué.

Pendant les semaines et les mois qui suivirent, je ne portai pas plus d’intérêt à la bière que je n’en témoignais au fourneau de la cuisine après m’y être brûlé. Les grandes personnes disaient vrai : la bière est mauvaise pour les enfants. Elles-mêmes l’avalaient sans répugnance, mais elles n’en éprouvaient pas non plus pour les pilules ou l’huile de ricin. Quant à