Page:London - La saoulerie américaine, trad Postif, paru dans L'Œuvre du 1925-11-03 au 1926-01-05.pdf/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bes. Tout en marchant je réfléchissais. La bière était une denrée très précieuse. Songez donc ! elle devait être prodigieusement bonne, car pour quelle raison m’empêchait-on toujours d’en boire à la maison ? Mes parents mettaient hors de ma portée d’autres choses que j’avais trouvées excellentes. La bière devait l’être aussi. Je pouvais m’en rapporter aux grandes personnes ; elles en connaissaient plus long que moi. En tous cas, le seau était trop plein. Je le cognais contre mes jambes et cela faisait du gâchis dans la poussière. Pourquoi perdre ainsi ce breuvage ? Personne ne saurait si j’en avais bu ou renversé.

J’étais si petit qu’afin de lamper à même le seau je dus m’asseoir par terre et l’amener entre mes genoux. La mousse, que j’aspirai tout d’abord, me désappointa. La nature précieuse de la bière m’échappait. Évidemment, elle ne résidait pas dans l’écume, dont le goût n’était pas fameux. Alors il me souvint d’avoir vu les grandes personnes souffler sur la mousse avant de boire. J’enfouis ma figure et lappai le liquide que mes lèvres rencontrèrent par dessous. C’était loin d’être bon, mais je continuai à boire. Mes aînés savaient ce qu’ils faisaient. Vu ma petitesse, la dimension du seau entre mes jambes, et le fait que j’y buvais en retenant ma respiration, le visage enfoui jusqu’aux oreilles dans la mousse, il m’était assez difficile d’estimer la quantité de bière que j’ingurgitais comme un médicament, dans ma hâte à terminer cette épreuve.

Je fus pris de frissons quand je me remis en route. Pensant que le bon goût de la bière me serait révélé par la suite, j’en recommençai plusieurs fois l’essai au cours de ce long demi-mille. Puis, alarmé de voir la quantité qui manquait, je me