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Naturellement, tout cela est une maladie de l’âme, une maladie de la vie. C’est l’amende que doit payer l’homme d’imagination pour son amitié avec John Barleycorn. Celle imposée à l’homme stupide est plus simple, plus commode. Il s’enivre jusqu’à tomber dans une sotte inconscience ; endormi sous l’effet d’une drogue, ses rêves, s’il en a, sont confus et inertes. Mais à l’être imaginatif John Barleycorn envoie les syllogismes spectraux et impitoyables de la raison pure. Il examine la vie et toutes ses futilités avec l’œil bilieux d’un philosophe allemand pessimiste. Il transperce toutes les illusions, il transpose toutes les valeurs. Le bien est le mauvais, l’existence est un trompe-l’œil et la vie est une farce. Des hauteurs de sa calme démence, il considère, avec la certitude d’un dieu, que toute la vie est un mal. Sous la lueur claire et froide de sa logique, épouse, enfante et amis révélent leurs déguisements et supercheries Il devine ce qui se passe en eux, et tout ce qu’il voit, c’est leur fragilité, leur mesquinerie, leur âme sordide et pitoyable. Ils ne peuvent désormais se jouer de lui. Ce sont de misérables petits égoïsmes, comme tous les autres nains humains, se trémoussant dans leur danse éphémère à travers la vie, dépourvus de liberté, simples marionnettes du hasard. Lui-même est comme eux, et il s’en rend compte mais avec une différence pourtant : il voit, il sait. Il connaît son unique liberté : il peut avancer Le jour de sa mort.

Tout cela ne convient guère à un homme créé pour vivre, aimer et être aimé. Cependant, le suicide, rapide ou lent, une fin soudaine ou une longue dégradation, tel est le prix que prélève John Barleycorn. Aucun de ses amis n’échappe à l’échéance de ce paiement équitable.