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UN DRAME AU KLONDIKE

Le dernier morceau de lard fumé de Morganson tirait à sa fin. Morganson n’avait jamais eu le loisir, dans sa rude vie, de choyer beaucoup son estomac qui, repu sans plus, constituait pour lui une quantité négligeable. Mais depuis qu’en ces derniers temps il avait dû réduire ce viscère à la portion congrue, il le sentait délicieusement chatouillé par l’aspect de ce bout de lard salé, tout desséché et coriace qu’il était.

Le visage de l’homme trahissait le désir ardent de sa faim. Sa joue était creuse et la peau s’y tendait sur les pommettes. Ses yeux, d’un bleu pâle, étaient troubles. La fixité de leur regard disait l’imminence d’une catastrophe terrible. Ils décelaient, à la fois, l’incertitude et l’angoisse, et dans leurs prunelles vitreuses passait le reflet d’on ne sait quels sombres pressentiments. Les lèvres, naturellement minces, semblaient s’amincir encore, et une convoitise, à grand-peine refrénée, les allongeait vers le bienheureux morceau de lard, que paraissait réclamer la poêle à frire.