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l’ouvrage. Pour comble de déveine, nous étions à la mauvaise saison de l’année : l’hiver. Cela te montre à quel point j’ignorais les choses de la terre.

« J’avais économisé deux dollars et je continuai de m’enfoncer dans la campagne, toujours en quête de travail, me nourrissant de pain, de fromage, de ce que je trouvais chez les épiciers. Je grelottais la nuit, dormais à la belle étoile, sans couverture, et j’attendais avec impatience la venue de l’aube.

« Le pire, c’était la façon dont les gens me dévisageaient. Tous me suspectaient et nul ne se gênait pour me le faire voir. Parfois, ils lançaient leurs chiens à mes trousses et m’ordonnaient de déguerpir au plus vite. On eût dit que j’étais de trop en ce bas monde. Et bientôt l’argent me fit défaut. Un jour que je crevais de faim, on m’arrêta.

— Pourquoi ?

— Pour rien. Parce que je vivais, sans doute. C’est tout ce qu’on pouvait me reprocher. Oui, une nuit que je m’étais glissé dans un tas de foin pour y dormir plus au chaud, un garde-champêtre m’arrêta pour vagabondage. Tout d’abord, on m’accusa de m’être enfui de chez mes parents ; on télégraphia mon signalement dans tout le pays. J’affirmai que je n’avais ni père ni mère, mais on fut longtemps avant de me croire, on y mit le temps ! Enfin, comme personne ne me réclamait, on m’expédia dans un asile d’enfants de San-Francisco. »

Il fit une pause et fouilla des yeux le rivage. Les hommes avaient été engloutis dans une obscurité et un silence absolus. Nul autre bruit que le murmure du vent qui se levait.