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travail et à la misère, je savais établir une distinction entre le faux et le réel, mais dès qu’il s’agissait d’elle, mon imagination s’en montrait incapable. Je ne sais comment te l’expliquer. »

Évoquant tous ses rêves magnifiques d’aventures sur mer et sur terre, Joë approuva de la tête. Jusque-là, il comprenait.

« Bien entendu, c’était folie de ma part, mais avoir pour camarade ou amie une jeune fille de ce genre me semblait être une joie du paradis. Comme je te l’ai déjà dit, il y a de cela très longtemps, et je n’étais alors qu’un simple gosse… c’était à l’époque où Nelson-le-Rouge me donna mon surnom et depuis je suis toujours resté Frisco Kid.

« Mais revenons à la jeune fille de l’image. Constamment, je me plaisais à contempler son portrait. Lorsque ma conscience me reprochait la moindre faute, je ne pouvais plus la regarder sans rougir de moi-même. Quelques années plus tard, quand il m’arrivait de poser les yeux sur elle, je songeais : « Suppose qu’un jour tu rencontres une jeune fille aussi ravissante, quelle opinion aura-t-elle de toi ? Consentira-t-elle seulement à t’accorder un brin d’amitié ? » Alors je m’évertuais à devenir meilleur, à me conduire comme un homme, afin qu’elle et ceux de son monde n’eussent point à regretter de m’avoir admis parmi eux.

« Voilà pourquoi j’ai appris à lire. Voilà pourquoi je me suis sauvé. Nicky Perrata, un jeune Grec, m’apprit l’alphabet, mais lorsque je sus lire, je me suis rendu compte que c’était mal de piller les bancs d’huîtres. J’y avais été habitué depuis ma tendre