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QUAND UN HOMME SE SOUVIENT

sement, puis revenaient à la baie et s’en procuraient d’autres.

Certains ne prenaient même pas la peine d’achever les pauvres bêtes : ils leur enlevaient leur harnachement, arrachaient leurs fers et les abandonnaient où elles étaient tombées. Ceux que le désespoir n’atteignait pas encore avaient des cœurs de pierre et ces hommes de la Piste du Cheval Mort devenaient semblables à des bêtes.

« C’est là que j’ai rencontré un homme qui avait la bonté et la patience d’un Christ. Et il était sincère. À la halte de midi, il déchargeait les chevaux pour qu’eux aussi eussent leur part de repos. Il paya le fourrage jusqu’à cinquante dollars le quintal et même davantage. Il se servait de ses propres couvertures pour leur matelasser le dos quand ils venaient de s’écorcher.

« Les autres laissaient les cuirs creuser dans la chair des trous profonds comme des seaux, et quand un fer se perdait, la bête usait son sabot en marchant sur un moignon sanglant : il dépensa son dernier dollar à acheter des clous de maréchal.

« Je sais tout cela, car nous dormions ensemble et nous mangions à la même gamelle, et nous sommes devenus frères de cœur dans un lieu où les hommes perdaient la notion exacte des choses et crevaient en blasphémant Dieu.

« Il ne rechignait jamais pour relâcher une courroie ou la resserrer, et parfois ses yeux se mouillaient devant un tel océan de misères. À un certain endroit,