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QUAND UN HOMME SE SOUVIENT

coin de la terre où l’on pensait découvrir le meurtrier de John Randolph.

À part des moments d’alerte, Fortuné flânait dans la pièce, exécutant d’interminables réussites et fumant continuellement des cigarettes. Bien que son naturel léger affectionnât les conversations bruyantes et les rires sonores, il s’était promptement plié à l’humeur taciturne d’Uri. Ils ne parlaient que des faits et gestes de la police de l’État, des pistes et du prix des chiens, et encore n’était-ce qu’à de rares intervalles et en peu de mots.

Puis Fortuné crut avoir inventé un système et, jour après jour, pendant des heures entières, il battit les cartes et les donna, les ramassa pour les battre de nouveau, notant leurs combinaisons en longues colonnes et recommençant indéfiniment.

Mais il finit par épuiser même cette distraction et, la tête penchée au-dessus de la table, il passa son temps à évoquer l’animation des tripots de Nome, ouverts toute la nuit, où banquiers et pontes rivalisaient de ruse au cliquetis ininterrompu des roulettes.

À ces instants, l’isolement et le sentiment de sa déchéance l’anéantissaient au point qu’il restait des heures entières, les yeux fixes, dans la même position.

D’autres fois, son amertume longtemps ruminée éclatait en discours véhéments, car s’il était exact qu’il eût pris l’humanité à rebrousse-poil, il ne voulait point en convenir.