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L’ABNÉGATION DES FEMMES

la moindre notion du temps. Mais nos visages et nos âmes étaient tendus vers l’Eau Salée, et nos pieds inlassables nous portaient vers elle.

Nous campâmes près de la Takheena, sans nous en douter. Nos yeux regardèrent le Cheval Blanc sans le voir. Nos pieds foulèrent a notre insu le portage du Canyon. Nous étions devenus insensibles.

Souvent, nous culbutions en route ; à chaque chute, nos faces restaient tournées vers l’Eau Salée.

Nos dernières provisions s’épuisèrent. Nous les avions partagées loyalement, Passuk et moi, mais elle tombait plus fréquemment et, au Carrefour du Caribou, ses forces l’abandonnèrent.

Le matin nous trouva couchés sous notre unique couverture ; cependant, nous ne reprîmes pas la piste. J’étais résolu à rester là et à attendre la mort avec Passuk, la main dans la main, car j’avais vieilli et appris à connaître l’amour de la Femme.

La Mission Haines se trouvait encore à quatre-vingts milles au delà du grand Chilcoot, dont le sommet balayé par les ouragans se dressait bien au-dessus de la limite des bois.

Passuk me parla à voix basse et je dus appuyer mon oreille contre ses lèvres pour pouvoir l’entendre.

Et à ce moment, parce qu’elle n’avait plus à redouter ma colère, elle m’ouvrit son cœur et m’avoua son amour et d’autres choses que je n’étais pas arrivé à comprendre.