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LE DIEU DE SES PÈRES

que fois il parvint à se ressaisir et à les éloigner avec sa hache.

Ils tombaient sous Stockard, qui piétinait les morts et les moribonds dans la boue rouge et glissante. Le soleil continuait à briller et dans l’air retentissait le chant des rouges-gorges.

Les Indiens épouvantés s’écartèrent du Blanc qui, hors d’haleine, s’appuya sur sa hache.

— Sang de mon âme ! — cria Baptiste Le Rouge — tu es au moins un homme, toi ! Renie ton Dieu, et je t’accorde encore la vie.

Stockard repoussa son offre par un juron, faiblement, mais avec dignité.

— Regarde donc ! Voici une femme !

On venait d’amener Sturges Owen devant Baptiste. À part une égratignure au bras, il était indemne. Il jetait néanmoins autour de lui des regards affolés par la peur. Le corps de l’héroïque blasphémateur, couvert de blessures et hérissé de flèches, appuyé d’un air de défi sur sa hache, calme, indomptable, superbe, finit par fixer son attention languissante. Il envia un instant ce héros capable d’affronter les portes de la mort avec un telle sérénité. Sûrement cet homme, et non lui, Sturges Owen, avait dû être coulé dans le même moule que le Christ. Il entendit confusément gronder en lui la malédiction de ses ancêtres, et rougit de la lâcheté morale qui, du fond d’un long passé, s’était transmise jusqu’à lui. Alors, plein de colère, il s’indigna contre cette puissance créatrice, dont le symbole lui importait peu à pré-