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LE DIEU DE SES PÈRES

Évidemment, Baptiste avait apaisé les plus belliqueux de ses hommes et, au lieu de déclencher une attaque à la grande lumière du jour, le coup de fusil avait provoqué une retraite précipitée et les Indiens s’étaient retirés du village, hors de la ligne de feu.

Dans l’excitation de sa ferveur de prosélytisme, soutenu par la main de Dieu, Sturges Owen se serait aventuré seul dans le camp du mécréant, prêt aussi bien au martyre qu’au miracle. Mais, pendant la trêve qui s’ensuivit, la fièvre de ses convictions s’éteignit peu à peu et sa véritable nature reprit le dessus. La peur physique l’emporta sur l’espoir divin, et l’amour de Dieu fut maté par celui de la vie.

Pour lui ce n’était pas une première expérience, ses anciennes faiblesses allaient réduire à néant ses sublimes résolutions. Il connaissait fort bien ce genre de lutte, où il avait toujours eu le dessous. Il se remémorait le jour où ses compagnons, surpris par une effroyable débâcle glaciaire, se débattaient comme des fous à coups de pagaies contre les premières vagues qui menaçaient de les engloutir. Au moment le plus critique, il avait, jouet d’une épouvante bien humaine, laissé tomber sa propre rame pour implorer éperdument la pitié de son Dieu. Et il en avait été de même en bien d’autres circonstances. Ce sont là des souvenirs qu’on n’aime pas à évoquer. Il se sentait humilié de constater en lui l’esprit si fort et la chair si faible. Mais l’amour de la vie ! L’amour de la vie ! Il ne pouvait l’extirper de son être. Pour cet amour, ses ancêtres obscurs avaient