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UNE FILLE DE L’AURORE

elle possédait le meilleur chien de traîneau, du Chilkoot à la mer de Behring. Croc-de-Loup n’avait pas de rival. L’homme qu’il conduirait à l’étape finale devait forcément gagner ; on n’en pouvait douter. Mais la communauté avait le sens inné des convenances, et nul ne s’avisa d’influencer Joy en faveur de l’un ou de l’autre des clans. Chacun d’eux se consola en pensant que s’il ne tirait point parti du chien, le camp adverse n’en profiterait pas davantage. Partant de ce principe que l’homme pris individuellement ou en collectivité a été ainsi façonné qu’il traverse la vie dans un état de béate incompréhension de la femme, ceux de Forty-Mile ne devinaient rien de l’esprit de secrète malice qui animait Joy Molineau.

Ils reconnurent, après coup, qu’ils n’avaient pas su pénétrer le secret de cette fille de l’Aurore, dont les yeux sombres s’étaient ouverts pour la première fois à la lumière scintillante de la Terre du Nord. En effet, son père exerçait dans le pays le trafic des fourrures, longtemps avant qu’eux-mêmes eussent songé à l’envahir.

Non, le hasard de sa naissance ne l’avait pas rendue moins femme, pas plus qu’il n’avait limité sa compréhension féminine des hommes. Ils avaient conscience qu’elle se jouait d’eux, mais ils ne parvenaient pas à discerner la finesse de ses desseins et l’art consommé de ses artifices.

Les hommes de Forty-Mile ne voyaient d’autres cartes que celles qu’elle voulait bien leur montrer, de