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réussir l’opération. Ses pattes s’accrochaient au sol avec la même ténacité qu’il se cramponnait lui-même à la vie. Car se maintenir debout était vivre et se laisser renverser était la mort. Nul mieux que lui ne le savait.

Ainsi Croc-Blanc se dressait contre ses propres frères, amollis par les feux de l’homme, affaiblis par l’ombre protectrice que les dieux avaient étendue sur eux, et les dominait. Il avait déclaré vendetta à tous les chiens. Et, si féroce était cette vendetta que Castor-Gris, tout sauvage et barbare qu’il fût lui-même, ne pouvait s’empêcher d’en être émerveillé. Jamais, il le jurait, il n’y avait eu sur la terre le pareil de cet animal.

Croc-Blanc approchait de ses cinq ans lorsque Castor-Gris l’emmena en un autre grand voyage. Longtemps on se souvint, parmi les villages riverains du Mackenzie, d’où ils passèrent dans les Montagnes Rocheuses entre le Porcupine[1] et le Yukon[2], du carnage de chiens auquel se livra Croc-Blanc. Sur toute sa race, il s’adonna librement à la vengeance. Il y avait là des tas de chiens naïfs et sans défiance, n’ayant pas appris à déjouer ses coups rapides, à se garder de son attaque brusquée, que ne précédait aucun avertissement. Tandis qu’ils perdaient leur temps en préliminaires de batailles et hérissaient leur poil, il était déjà sur eux, sans un aboi, tel un éclair qui porte la

  1. Le Porcupine ou « Fleuve du Porc-Épic ». (Note des Traducteurs.)
  2. Le Yukon ou Yakou, dont le Pocupine est un affluent, va se jeter, comme le Mackenzie, dans l’Océan glacial Arctique. (Idem.)