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sous peine de la vie, et cette volonté de vivre était plus impérieuse encore. À l’instant où Mit-Sah donnait le signal du départ, tout l’attelage, d’un même mouvement, s’élançait en avant, sur Croc-Blanc, en poussant des cris ardents et furieux. Pour lui, pas de résistance possible. S’il se retournait sur ses pousuivants, Mit-Sah lui cinglait la face de la longue lanière de son fouet. Nulle ressource que de décamper à toute volée. Sa queue et son train de derrière étaient impuissants à mettre à la raison la horde forcenée, devant laquelle il fallait qu’il parût fuir. Chaque bond qu’il faisait en avant était une violence à son orgueil, et il bondissait tout le jour.

C’était la volonté des dieux que cédât son orgueil, qu’il comprimât les élans de sa nature, que son être révolté renonçât à s’élancer sur les chiens qui le talonnaient. Et derrière la volonté des dieux, il y avait, pour lui donner force de loi, les trente pieds de long du fouet mordant, en boyau de cariboo. Il ne pouvait que ronger son frein, en une sourde révolte intérieure, et donner carrière à sa haine.

Nul être ne devint jamais, autant que lui, l’ennemi de sa race. Il ne demandait pas de quartier et n’en accordait aucun. Différent de la plupart des chefs de file d’attelage, qui, lorsque le campement est établi et lorsque les chiens sont dételés, viennent se mettre sous la protection des dieux, Croc-Blanc, dédaignant cette précaution, se promenait hardiment, en toute liberté, à travers le campement, infligeant, chaque nuit, à ses ennemis, la rançon des affronts qu’il avait subis durant le jour.