en un chien, qui conservait quelque chose du loup, mais qui était tout de même un chien et non un loup. Son caractère avait été pareillement pétri, selon la pression morale que sa nature avait subie. C’était une loi fatale à laquelle le louveteau n’avait pu échapper. Et, tandis qu’il devenait toujours plus insociable avec les autres chiens, plus féroce envers eux, Castor-Gris l’appréciait chaque jour davantage.
Quelle que fût cependant sa force physique et morale, Croc-Blanc souffrait d’une faiblesse de caractère insurmontable. Il ne pouvait supporter de voir rire de lui. Le rire humain était, à son idée, chose haïssable. Qu’il plût aux dieux de rire entre eux, au sujet de n’importe quoi, peu lui souciait. Mais, si le rire se tournait de son côté, s’il sentait qu’il en devenait l’objet, alors il entrait en une effroyable rage. Calme et digne en sa sombre gravité, l’instant d’avant, il en était métamorphosé. On l’outrageait, pensait-il, et la folie frénétique qui s’emparait de lui durait des heures entières. Malheur au chien qui venait alors gambader à sa portée ! Le louveteau connaissait trop bien la loi pour passer sa colère sur Castor-Gris ; car, derrière Castor-Gris, il y avait un fouet et un gourdin. Mais derrière les chiens il n’y avait que l’espace vide, où ils détalaient dès qu’apparaissait Croc-Blanc, rendu fou par les rires.
Croc-Blanc était dans sa troisième année, lorsqu’il y eut une grande famine pour les Indiens du Mackenzie. Le poisson manqua pendant l’été ; durant l’hiver, les cariboos oublièrent de faire leur habituelle migration. Les élans étaient rares,