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et la lueur des feux. Il entendait les voix stridentes des femmes, les basses grondantes des hommes et les aboiements des chiens. Il avait faim, et il se souvenait des morceaux de viande et de poisson qu’on lui jetait. Ici, pas de viande, rien que l’inexprimable et menaçant silence.

Son esclavage l’avait amolli. En perdant le sens des responsabilités, il s’était affaibli et ne savait plus comment se gouverner. Au lieu du bruissement de la vie coutumière, silence et nuit l’étreignaient. Il en était paralysé. Qu’allait-il advenir ?

Il frissonna. Quelque chose de colossal et de formidable venait de traverser le champ de sa vision. C’était l’ombre d’un arbre, projetée par la lune, dont la face s’était dégagée des nuages qui la voilaient. Il se rassura et gémit doucement. Puis il tut son gémissement, de peur que celui-ci n’éveillât l’attention du péril embusqué autour de lui.

Contracté par le froid de la nuit, un autre arbre fit entendre un craquement violent. C’était directement au-dessus de sa tête. Il glapit de frayeur et une panique folle le saisit. De toutes ses forces il courut vers le camp. Un invincible besoin de la protection et de la société de l’homme s’emparait de lui. La senteur de la fumée des feux emplissait ses narines ; dans ses oreilles bourdonnaient les sons et les cris coutumiers. Il sortit enfin de la forêt, de son obscurité et de ses ombres, pour parvenir à un terrain découvert, qu’inondait le clair de lune. Des yeux, il y chercha vainement le camp. Il avait oublié. Le camp était parti.

Il s’était brusquement arrêté de courir, car où aller, maintenant ? Il erra, lamentable et aban-