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est, avec évidence, l’offense impardonnable entre toutes, le crime entre les crimes.

Lorsque le canot eut rejoint le rivage, le louveteau y gisait, gémissant et inerte, attendant la volonté de Castor-Gris. C’était la volonté de Castor-Gris qu’il vînt à terre, et à terre il fut lancé, sans ménagement aucun pour ses meurtrissures. Il rampa en tremblant. Lip-Lip, qui était présent et avait, du rivage, assisté à toute l’affaire, se précipita sur lui, en le voyant si faible, et entra ses dents dans sa chair.

Croc-Blanc était hors d’état de se défendre et il lui serait arrivé malheur, si Castor-Gris, enlevant Lip-Lip d’un solide coup de pied, ne l’avait lancé à distance respectable.

C’était la justice de l’animal-homme qui se manifestait et, même en l’état pitoyable où il se trouvait, le louveteau en éprouva un petit frisson de reconnaissance. Sur les talons de Castor-Gris et jusqu’à sa tente, il boita avec soumission, à travers le camp. Ainsi avait-il appris que le droit au châtiment est une prérogative que les dieux se réservent à eux-mêmes et dénient à toute autre créature au-dessous d’eux.

Pendant la nuit qui succéda, tandis que chacun reposait dans le camp, Croc-Blanc se souvint de sa mère et souffrit en pensant à elle. Il souffrit un peu trop haut et réveilla Castor-Gris, qui le battit. Par la suite, il pleura plus discrètement, lorsque les dieux étaient à portée de l’entendre. Mais, parfois, rôdant seul à l’orée de la forêt, il donnait libre cours à son chagrin, et criait tout haut, en gémissant et en appelant.