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la tanière, sauf pour aller boire, et sa marche était lente et pénible. Le lynx, au bout de ce temps, était complètement dévoré, et les blessures de la louve assez cicatrisées pour lui permettre de courir à nouveau le gibier.

L’épaule du louveteau demeurait encore raide et endolorie et, durant quelque temps, il boita. Mais le monde, désormais, lui paraissait autre. Depuis la bataille avec le lynx, sa confiance en lui-même s’était accrue. Il avait mordu dans un ennemi, en apparence plus puissant que lui, et avait survécu. Son allure en était devenue plus hardie. Quoique la terreur mystérieuse de l’Inconnu, toujours intangible et menaçante, continuât à peser sur lui, beaucoup de sa timidité avait disparu.

Il commença à accompagner sa mère dans ses chasses et à y jouer sa partie. Il apprit férocement à tuer et à se nourrir de ce qu’il avait tué. Le monde vivant se partageait pour lui en deux catégories. Dans la première, il y avait lui et sa mère. Dans la seconde, tous les autres êtres qui vivaient et se mouvaient. Ceux-ci se classaient, à leur tour, en deux espèces. Ceux qui, comme lui-même et sa mère, tuaient et mangeaient ; ceux qui ne savaient pas tuer ou tuaient faiblement. De là surgissait la loi suprême. La viande vivait sur la viande, la vie sur la vie. Il y avait les mangeurs et les mangés. La loi était Mange ou sois Mangé.

Sans se la formuler, sans la raisonner, ni y penser même, le louveteau vivait cette loi. Il avait mangé les petits du ptarmigan. Le faucon avait mangé la mère-ptarmigan, puis aurait voulu le