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« Je ne doutais pas qu’à bref délai mon tour allait venir d’avoir la tête tranchée. Je réussis à ramper sur les mains et sur les genoux jusqu’au cabestan, et je vis que justement l’opération se pratiquait sur les trois derniers matelots, auxquels J’avais donné mes ordres durant des mois et qui, désarmés, avaient été facilement terrassés.

« Les têtes coupées sont, à Malaïta, un objet prisé entre tous. Les indigènes d’eau salée[1], après les avoir soigneusement enfumées, se font gloire d’en orner leurs hangars à pirogues. Les broussards en décorent leurs huttes, avec un non moindre orgueil. Et les têtes de blancs font prime. La place d’honneur leur est réservée.

« Par un miracle invraisemblable, je parvins à me remettre debout. Les quatre têtes coupées étaient rangées en ordre, sur le toit de la grande cabine.

« Stupéfaits en m’apercevant, les noirs se ruèrent dans ma direction. Je cherchai mon revolver, à ma ceinture. On me l’avait enlevé. À maintes reprises déjà, j’avais frôlé la mort de bien près. Mais j’étais de plus en plus persuadé que, cette fois, j’allais y passer.

« Un des noirs, qui semblait le chef de bande, était muni d’un lourd couperet, chipé par lui à la cuisine du navire. Et, grimaçant comme un singe, il était à deux pas devant moi, qui titubais tel un homme ivre.

  1. Les indigènes « d’eau salée » sont ceux qui habitent en bordure de la mer. Les « broussards » gîtent dans la brousse, à l’intérieur de l’île.