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première fois fidèle. Fidèle envers une ombre, fidèle envers un mort, qu’elle croit toujours vivant.

« Voici comment la chose eut lieu.

« Je t’ai, hier soir, parlé élogieusement de Dave Walsh, du grand et puissant Dave Walsh. Et je suis demeuré encore au-dessous de la vérité. C’est vers 1890 qu’il vint en ce pays. C’était, comme nous autres, un pionnier de l’or. Un vrai taureau. À vingt-cinq ans, il était capable de soulever du sol, et de porter sur ses épaules, treize sacs de farine, de cinquante livres chacun.

« Bien qu’il fût bonasse, il ne faudrait pas s’imaginer que, le cas échéant, il manquât de nerfs. Je t’ai raconté, tout à l’heure, l’histoire de l’ours qu’il avait estourbi, armé d’un fusil à perdrix. Si, poussé à bout, il entrait en lutte, il devenait terrible, déchaîné, nul ne pouvait lui tenir tête. Toujours bon et coulant avec les faibles, il devenait intraitable avec les forts, qui devaient lui céder le pas. Tout le monde, en somme, l’estimait.

« Or donc, Dave, tout cet hiver-là, avait fouillé le Mammon-Creek, et y avait lavé quatre-vingt mille dollars d’or, qui en promettaient deux cent mille pour l’hiver suivant. Quand, avec le printemps qui s’avançait, et la neige fondante, le sol fut devenu une bouillie liquide, il résolut de s’en venir à Dawson, en remontant le Yukon.

« Dawson alors, grouillait de monde, et c’est là qu’il vit, pour la première fois, Braise d’Or. J’étais présent à l’entrevue, cette nuit-là, et toujours je m’en souviendrai.

« Ce fut comme un coup de tonnerre, inattendu et terrible. Je frémis encore en songeant comment, d’un seul regard de ses yeux doux, la frêle et blonde créature aspira en elle toute la force de ce géant.

« La scène eut lieu dans la cabane du père Chauvet.