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but, qui était de nous rejoindre. Par quel stupéfiant miracle ? Apprenez-le moi et je vous renseignerai.

Il était invulnérable, je vous l’ai déjà dit. Une fois, il chercha noise à un chien indien. Le propriétaire du chien, qui était costaud, balança sa hache et la lança sur Spot. Il le manqua et tua son propre chien. Vlan !

Il y a des sorciers qui prétendent posséder le pouvoir de faire dévier les balles. Faire dévier une hache, lancée par un gaillard comme était le propriétaire du chien, c’est encore beaucoup plus fort. Car il est bien évident que ce n’est pas son chien qu’il voulait tuer. C’est lui qu’il tua, cependant. Dites-moi pourquoi, et vous me ferez plaisir.

Je vous ai parlé des visites indues que faisait ce Spot à notre garde-manger. Tant et si bien qu’il faillit causer notre mort. Nos provisions se trouvèrent épuisées, et nous ne rencontrions aucune viande à tuer. Les élans s’étaient retirés, comme les Indiens, à des centaines de milles des parages où nous étions. Il nous fallait attendre le printemps et la débâcle des glaces, pour revoir paraître le gibier.

Nous devînmes maigres à ce point que nous décidâmes de manger les chiens. Spot devait être sacrifié le premier. Il le devina, sans aucun doute, et disparut. Tout simplement ! Nous restâmes à le guetter, plusieurs nuits durant. Mais il se garda de montrer son nez et ce sont les autres chiens qui furent boulottés. Tout l’attelage y passa.

Mais écoutez la suite.

Vous savez ce qu’est un fleuve, à l’heure de son dégel, lorsque des milliards de tonnes de glace se bousculent, se dressent en l’air, s’écrasent mutuellement et se broient.

Tandis que le Steward était en pleine débâcle, craquant et se hérissant, grondant et rugissant, nous aperçûmes Spot qui émergeait du milieu des glaces, et