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enclos, que j’étais incapable de saisir. Il errait derrière ces prunelles. Ce n’était ni de la lumière, ni de la couleur. C’était… J’ai souvent éprouvé la même impression devant les yeux d’un cerf frappé à mort… C’était plus qu’une parenté entre ces yeux et les miens, entre cette âme et la mienne. C’était une égalité. Vous qui n’avez pas, comme moi, senti ce regard, dites, si vous voulez que je suis fou. C’est ainsi pourtant. Bref, ce chien nous déconcertait. Et Stephen Mackaye éprouvait les mêmes troubles que moi.

*

Ce Spot n’était, décidément, bon à rien. Je me résolus à le tuer. Je sortis de la tente et l’emmenai à l’écart, dans un fourré. Il me suivit à pas lents, et en rechignant. Tandis que je tirais sur la corde, il comprenait, sans aucun doute, ce qui se préparait. Quand je jugeai l’endroit propice, je mis mon pied sur la corde et sortis mon gros revolver Colt.

Le chien s’assit sur son derrière et me regarda. Oh ! il ne me supplia pas ! Non. Il ne fit rien d’autre que de me regarder. Et je vis remuer, dans ses yeux, des tas de choses que je ne comprenais pas. Des choses qui dépassaient mon imagination. Il me parut que j’allais tuer un homme. Un homme conscient et brave, qui regarde sans trembler le trou du revolver braqué sur lui, et qui vous demande simplement : « Qui de nous deux a peur ? »

J’allais presser du doigt la gâchette. Je m’arrêtai. Le message insaisissable flamboyait dans les yeux du chien. Et, dès lors, ce fut trop tard. Tous mes membres s’émurent. Je sentis, dans mon ventre, un gargouillis semblable à celui qu’y déchaîne le mal de mer.

Alors je m’assis et regardai le chien. Il me parut que j’allais perdre la raison. Voulez-vous connaître la