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voudrai, jusqu’à ma mort, du tour pendable qu’il m’a joué.

Voici l’histoire.

Nous partîmes ensemble pour le Klondike, lors de la grande ruée vers l’or, de l’automne de 1897. Nous avions paqueté et chargé sur nos épaules notre menu bagage, et nous effectuâmes ainsi une partie du chemin.

Mais nous étions partis trop tard pour pouvoir franchir le défilé du Chilcoot avant l’hiver et le gel. La neige, tout à coup, s’était mise à tomber. Il nous fallut acheter des chiens, pour accomplir en traîneau le reste du voyage. Et voilà comment nous acquîmes ce Spot.

Les chiens étaient hors de prix et il nous fallut payer, pour lui, cent dix dollars. Il semblait les valoir. Je dis « il semblait », car c’était, en apparence, une des bêtes les plus superbes que j’eusse jamais vues. Il ne pesait pas moins de soixante livres et toutes ses lignes étaient celles d’un excellent chien de traîneau.

Jamais, par contre, nous n’arrivâmes à déterminer exactement à quelle race il appartenait. Ce n’était pas un « husky ». Ce n’était pas, non plus, un « malemute », ni un chien de la baie d’Hudson[1].

Il ressemblait à tous ces chiens à la fois et n’était aucun d’eux. Il avait aussi quelque chose des chiens civilisés et de leurs bigarrures coutumières. Car, sur un de ses flancs, se dessinait, sur sa couleur générale, qui hésitait entre le gris sale et le brun jaune, une énorme tache, noire comme du charbon et large comme le fond d’un seau. C’est pourquoi nous l’appelâmes « Spot »[2].

Les apparences d’un excellent chien, il les avait vraiment toutes. Lorsqu’il se mettait en forme, tous ses muscles saillaient magnifiquement, d’un bout à l’autre de son corps. Jamais je n’avais rencontré, dans tout l’Alaska, animal plus robuste d’aspect, ni qui

  1. Variétés diverses de chiens de traineau.
  2. Spot signifie tache.