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dans sa poitrine. Pour agréable que fût cette sensation, elle était surprenante. Ayant réfléchi, il conclut que le gel de son corps devait s’étendre. Des extrémités des membres et des membres eux-mêmes, le sang refluait vers la poitrine et vers le cœur.

Pensée terrible qu’il tenta de refouler et d’oublier. Car il sentait bien qu’elle arriverait à faire renaître en lui l’affolement. Et, plus que tout, il redoutait cela. Mais la pensée s’affirmait, obsédante, et persistait si bien qu’il eut tout à coup la vision de son corps totalement gelé.

C’en était trop. Comme mû par un ressort, il se remit debout et reprit sur la piste sa course éperdue. Un moment, le temps d’un éclair, il redevint maître de lui. Il ralentit son allure et se remit à marcher, pour mieux ménager ses forces. Mais la vision de tout son corps gelé s’imposa presque aussitôt à son cerveau et le fit courir de nouveau.

Derrière lui, à même allure, le chien suivait. Lorsque, pour la seconde fois, l’homme tomba, l’animal s’assit, comme il l’avait déjà fait, sa queue repliée sur ses pattes, les yeux ardents et attentifs. Le calme de la bête irrita l’homme qui se mit à l’injurier. Le chien se contenta de coucher légèrement les oreilles.

L’homme grelottait de tous ses membres. Visiblement, il était en train de perdre la bataille ; le froid gagnait partout sur son corps. Il eut un dernier sursaut d’énergie et se remit à courir. Mais il n’alla pas bien loin. Deux minutes après, il chancela et, tombant la tête en avant, s’étendit tout de son long sur la neige.

Ce fut d’abord une stupeur. Puis, dès qu’il eut repris le contrôle de lui-même, il s’assit, et la conception lui vint qu’il devait mourir avec dignité. Il se dit qu’il avait agi en insensé. Il se compara à un poulet qui, la tête coupée, continue à remuer les pattes. Oui, il fit cette comparaison !