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solidement dans ses bras, comme dans un étau. L’animal grognait, geignait et se débattait. L’homme, qui s’était assis dans la neige avec son prisonnier, le maintenait étroitement serré contre son corps. Mais c’était tout ce qu’il pouvait faire.

Il comprit qu’il ne pourrait pas tuer le chien. Il ne disposait pour cela d’aucun moyen. Ses mains impuissantes ne lui permettaient ni de dégainer et de tenir son couteau, ni d’étrangler la bête. Il la relâcha. D’un bond affolé, le chien se sauva, la queue entre les jambes, et grondant toujours. À une quarantaine de pas, il s’arrêta, les oreilles pointées en avant, observant ce qui allait se passer. L’homme regarda ses mains inertes. Elles pendaient au bout de ses bras, complètement mortes. Elles n’existaient plus pour lui que par la vue. Il avait simplement, par moments, l’impression vague de deux poids très lourds, suspendus à ses poignets.

*

Alors une appréhension de la mort, obscure, opprimante, commença à s’emparer de lui. À mesure qu’il se rendait compte qu’il ne s’agissait plus de perdre son nez, ses mains ou ses pieds, mais que sa vie même était en jeu, sa peur grandissait. Il regagna le lit de la rivière et, toujours courant, se remit à suivre la piste abandonnée. Sur ses talons, réglant son trot sur l’allure du maître, le chien reprit son escorte.

L’homme courait aveuglément, sans but conscient, envahi d’un effroi qu’il n’avait encore jamais connu. Il allait sans rien voir. Puis, peu à peu, tout en labourant la neige de ses mocassins, il recommença à discerner les objets autour de lui : les berges du Creek, la piste mal tracée, les peupliers dénudés et les sapins noirs, et le ciel au-dessus de sa tête.

Il lui sembla qu’il se sentait mieux. L’effort de la