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qui lui fermait la bouche. Il se contentait de mâcher uniformément son tabac et d’allonger ainsi sa barbe d’ambre.

La seule pensée qui lui revenait parfois, c’est qu’il faisait réellement froid, que jamais encore il n’avait connu une pareille froidure. Tout en cheminant, il frottait automatiquement de ses mitaines, tantôt d’une main, tantôt de l’autre, ses pommettes et son nez. Mais il avait beau frotter, la circulation ne semblait pas se rétablir. Dès qu’il cessait la friction, nez et pommettes redevenaient inertes.

Il était certain maintenant, et il s’en rendait compte, qu’il avait une partie du visage gelée. Et il regrettait de ne s’être point fabriqué, avec du cuir, un masque spécial, retenu par des courroies, tel que celui que portait Bud, son camarade, lorsque la température baissait brusquement. Mais bah ! le malheur n’était point considérable. Avoir le nez et les joues gelées était fâcheux assurément, et fort douloureux par la suite. Mais on n’en mourait pas, et c’était le principal.

L’homme allait, et la seule préoccupation de son cerveau indifférent était d’observer sans trêve et très attentivement la piste qu’il suivait, les crochets et les courbes de la rivière gelée, les amas de bûches entraînées par les inondations printanières, et qui formaient aujourd’hui de petits monticules neigeux qu’il convenait d’éviter. Il scrutait le sol, presque chaque fois avant d’y poser le pied. Il y eut un moment où il fit soudain un écart, comme un cheval qui prend peur, et où, se reculant de plusieurs pas, il contourna à distance la piste tracée.

La rivière était entièrement gelée, jusqu’à son lit. Il ne l’ignorait pas, et savait qu’aucun cours d’eau ne saurait conserver une goutte liquide durant l’hiver arctique.

Mais il savait aussi que des sources souterraines