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pieds étaient en tel état qu’il ne pouvait se tenir debout.

On s’expliqua. Mais le capitaine de la Flora ne voulait pas entendre parler de revenir en arrière et de s’en retourner aux rapides du Cheval Blanc. Fred Churchill voulait être obéi ; il était tenace et têtu, et le capitaine ne l’était pas moins.

— À quoi cela servirait-il ? observa celui-ci. Le dernier vapeur de haute mer de la saison, l’Athénien, qui se trouvait à Dyea, devait lever l’ancre le mardi matin… Il était matériellement impossible à la Flora de revenir au Cheval Blanc pour y prendre les passagers en souffrance et d’être de retour à Dyea avant le départ de l’Athénien.

— À quelle heure part, mardi, l’Athénien ? interrogea Churchill.

— À sept heures du matin.

— Ça va !

En même temps, Fred Churchill envoyait une volée de coups de pieds dans les côtes d’Antonsen, qui ronflait toujours.

— Capitaine, dit-il, retournez au Cheval Blanc. Antonsen et moi, nous filons en avant pour prévenir l’Athénien et le retenir jusqu’à votre retour.

Antonsen, abruti de sommeil, n’avait pas encore recouvré ses esprits qu’il était comme un paquet dans la pirogue. Il ne se rendit compte de ce qui se passait qu’en se sentant inondé jusqu’aux os, par l’écume glacée d’une énorme vague, et en entendant Fred Churchill qui, d’une voix hargneuse, lui criait dans la nuit :

— Alors, quoi ? Tu ne peux pas ramer ? Tu as peut-être envie de te noyer…

Toute cette nuit-là, les deux hommes ramèrent.