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temps à autre, ils devaient battre des mains pour rétablir la circulation.

La nuit tombant n’arrêta pas leur course qui, dans l’obscurité, devint plus pénible encore. À plusieurs reprises, ils furent projetés contre des récifs qu’ils n’avaient pu voir et qui les mirent en sang. Plusieurs fois aussi, ils échouèrent sur une des rives du fleuve.

Au premier de ces plongeons, le sac de Louis Bondell tomba dans le fleuve. Fred Churchill, après avoir beaucoup barbotté, le repêcha, à tâtons, sous trois pieds d’eau. Il en eut pour une demi-heure. Après quoi, et pour éviter qu’un pareil accident ne se renouvelât, il le ficela solidement à l’un des bois de la pirogue. Antonsen avait commencé par rire du sac. Il pestait maintenant contre lui. Fred Churchill fit celui qui n’entendait pas.

Retards et malchances se succédèrent toute la nuit. Les deux hommes étaient exténués. Leurs cœurs battaient à éclater. Ils n’étaient que deux pauvres choses servant de jouet au destin.

Ils allaient pourtant. Mais, quand l’aube parut, ils étaient loin encore de l’escale de Tagish. Après une dernière catastrophe qui retourna sur eux la pirogue et où ils faillirent couler en eau profonde, ils entendirent, sous le coup de neuf heures du matin, le sifflet de la Flora. C’était le vapeur qui annonçait son départ. Une heure après, les deux hommes arrivaient à Tagish ; à peine alors purent-ils apercevoir un nuage de fumée qui s’éloignait vers le Sud.

Ils n’étaient plus que deux loques humaines, trempées d’eau, aux vêtements en lambeaux : le chef de poste, le capitaine Jones, de la police royale, les accueillit et les traita de son mieux. Il leur donna de quoi se restaurer. Jamais, contait-il par la suite, il n’avait vu d’appétits aussi formidables.

Bien repus, les deux hommes s’étendirent près du