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Cette besogne terminée, Morganson choisit un quartier de viande qui pesait une centaine de livres, et se mit en devoir de le traîner jusqu’à sa tente. Mais la neige était molle et c’était un travail au-dessus de ses forces. Il y dut renoncer.

Il échangea son morceau contre un autre, qui pesait dans les vingt livres, et, après s’être maintes fois arrêté à reprendre haleine, il parvint à la tente, avec sa charge. Il fit griller une partie de la viande, et eut la sagesse de n’en manger, tout d’abord, qu’avec une prudente parcimonie. Précaution nécessaire envers un estomac longtemps affamé.

Un peu restauré, il revint, comme un automate, à la berge du fleuve. Sur la neige, fraîchement tombée, des empreintes étaient marquées. Le traîneau chargé de vie avait passé, une fois de plus, cependant que lui, Morganson, était occupé à découper l’élan.

Mais il n’en prit qu’un souci relatif. Il n’avait plus que faire de ce traîneau. L’élan, abattu par lui, avait fait germer en son esprit un nouveau plan. La viande de la bête valait, commercialement, cinquante cents la livre, et il n’y avait pas cinq kilomètres jusqu’à Minto.

La vie qu’il attendait, il la tenait dans sa main. Il vendrait l’élan et, avec l’argent qu’il en tirerait, il s’achèterait deux chiens, quelques provisions et du tabac. Alors les chiens le tireraient vers le Sud, sur la piste de la mer, du soleil et de la civilisation.

La faim renaissait. Non plus une douleur morne et monotone, comme celle qu’il avait si longtemps subie. Mais un désir aigu, irrésistible. Il revint vers la tente, de son même pas pesant, et se fit frire une nouvelle tranche de viande. Après quoi, il fuma deux pipes, bourrées de feuilles de thé. Puis il remit à frire une troisième tranche.

Il sentit, du coup, un renouveau de forces s’épandre dans tout son être, et il sortit pour aller fendre

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