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de pincées, tout au plus. Mais celle qu’il mit dans la théière était si mince qu’il escompta, à part lui, que la provision pourrait durer encore longtemps.

Tous les vivres dont il disposait consistaient en un demi-sac de farine et en une boîte enfermant une certaine quantité de levure.

Avec ces deux éléments, il se fabriqua des biscuits, les fit cuire et, lentement, mâchant chaque bouchée avec des délices infinies, il en mangea trois.

Après le troisième, il s’arrêta et parut hésiter. Il en atteignit un quatrième, et une bataille se livra en lui, pour savoir s’il devait ou non l’absorber.

Il considéra le sac de farine, dont le contenu avait notablement diminué, et le soupesa. Finalement, il mit de côté tous les biscuits qui restaient.

— En économisant la nourriture, je puis tenir deux semaines…, dit-il tout haut.

Puis, après un instant de réflexion :

— Peut-être trois.

Il renfila ses moufles, rabattit les oreilles de sa casquette et, reprenant son fusil, se dirigea derechef vers la berge du fleuve, où il se remit à l’affût.

Il s’aplatit dans la neige, afin d’être invisible à quiconque, et attendit, immobile, l’œil aux aguets.

Dix minutes ne s’étaient pas écoulées dans cette inaction que le gel commença de mordre. Morganson s’assit, mit son fusil en travers de ses genoux, et battit des bras de l’avant et de l’arrière.

Mais la piqûre de ses pieds devint intolérable. Alors il se releva tout à fait et, gagnant un terrain plat, l’arpenta de long en large, de son pas pesant.

De temps à autre, il revenait vers la berge et, de ses yeux dilatés, continuait à interroger la piste du Yukon, comme si, par la tension de sa volonté, il avait pu y matérialiser enfin la forme attendue d’un homme. Mais rien n’apparut.

Il revint se réchauffer un peu à son feu de campe-210