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mon remède t’en garde rancune. Tu dois, pour réparer, me donner ta fille.

Et, ce disant, il désignait du doigt la jeune fille en question, une hideuse créature, avec un œil qui louchait et des crocs de loup, qui pointaient hors de sa bouche.

Makamuk était furieux, mais le Polonais demeurait impassible. Il s’occupait à rouler et à allumer une autre cigarette.

— Il faut te hâter, menaça-t-il. Si tu tardes encore, mes exigences continueront à monter.

Un silence suivit, durant lequel, oubliant le drame qui se jouait aux confins de la Terre du Nord, Subienkow revit une fois de plus, dans son imagination, et sa terre natale, et la France. Comme il regardait la fille aux crocs de loup, il se souvint d’une autre femme, d’une petite théâtreuse, qui chantait et dansait, toute charmante, et qu’il avait connue quand, étant jeune homme, il vint à Paris.

— Que prétends-tu faire de la jeune fille ? grogna Makamuk.

— Je veux qu’elle remonte le fleuve avec moi, répondit Subienkow en examinant la jeune fille d’un air de connaisseur. Elle me fera une bonne épouse et c’est un honneur dont mon remède n’est pas indigne, que je m’allie à ton sang.

La petite Parisienne repassa devant ses yeux et il se mit à fredonner une chansonnette, qu’il avait apprise d’elle. Il revécut rapidement cette heure heureuse de son existence, mais comme un spectateur étranger. Il lui semblait qu’un autre que lui en avait été l’acteur et que ces images défilaient dans sa mémoire, distinctes de sa propre personnalité. Brisant le silence, la voix de Makamuk le fit tout à coup tressaillir.

— Cela encore, dit-il, sera exécuté. Ma fille remon-