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La saison était tardive et, plus que de coutume, le saumon se faisait attendre. L’impatience redoublait. D’autant que, pour corser encore plus l’affaire, Akoun avait annoncé publiquement, et de façon formelle, qu’il tuerait sur-le-champ, quel qu’il fût, l’acquéreur d’El-Sou. Et il brandissait un Winchester, pour bien faire voir qu’il ne raillait pas. El-Sou, peu satisfaite de ces menaces de son amoureux, avait tenté de l’entreprendre à ce sujet. Mais il avait refusé de discuter et avait, au contraire, acheté au Poste un supplément de munitions.

Le grand jour arriva enfin. Le premier saumon fut capturé à dix heures du soir et, à minuit, la vente commença.

Le soleil allait arriver au sommet de sa course et illuminait le ciel d’une lueur étrange et rougeâtre. Sur la haute berge du Yukon, la foule se massait autour de la table et des deux chaises, qu’on y avait placées. Au premier rang, se tenaient les Blancs et plusieurs chefs indiens. Un peu en avant du cercle qu’ils formaient, Akoun allait et venait, fusil en main.

À la demande d’El-Sou, Tommy accepta de servir de commissaire-priseur et de recevoir les enchères. Mais ce fut elle-même qui prononça le petit discours préliminaire et se chargea de faire l’article pour la marchandise à vendre.

Elle portait le costume de sa race, celui d’une fille de chef indien. Debout sur une des chaises, afin de bien faire ressortir ses avantages, elle était à la fois magnifique et sauvage.

— Qui veut, dit-elle acquérir une épouse ? Regardez-moi. J’ai vingt et un ans, et je suis vierge. Je serai, pour l’homme qui m’achètera, une bonne et fidèle compagne. Si celui-là est un Blanc, je m’habillerai comme une femme blanche. Si c’est un Indien, je porterai le costume indien, comme…

Elle hésita un instant et reprit :