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— Je reconnais que cette liqueur est douce à mon vieux gosier, répliqua Porportuk. Mais…

Il parut hésiter à formuler sa pensée.

— Mais tu la trouves un peu chère, n’est-ce pas ? ricana Klakee-Nah, terminant la phrase à sa place.

Les rires fusèrent tout le long de la table, au grand mécontentement de Porportuk, qui riposta :

— Nous avons été des enfants du même âge. Toi, tu as déjà la mort dans la gorge. Moi, je suis encore plein de force et de vie ! C’est la punition de ton intempérance.

Les convives protestèrent bruyamment, tandis que Klakee-Nah était pris d’une quinte de toux plus forte et que ses vieux esclaves lui tapaient dans le dos. Dès qu’il le put, il se dégagea et, la bouche convulsée, hurla, furibond :

— Tu es un ignoble avare, Porportuk ! Tu as, dans ta maison, mesuré jusqu’au feu, sous prétexte que le bois coûte cher. Oui, certes, il en coûte gros pour bien vivre et tu as refusé d’y mettre le prix ! Ta vie a été pareille à une cabane où ne luit aucune flamme, où il n’y a pas de tapis sur le plancher…

Il s’interrompit pour faire signe qu’on remplît de nouveau son verre, qu’il souleva, puis reprit :

— Moi, au moins, j’ai vécu ! Une bienfaisante chaleur a animé ma vie. Toi, tu me survivras, mais tu continueras à grelotter dans les nuits glacées. Mes nuits auront été courtes, courtes mais bonnes !

Il vida son verre et le repassa à la main tremblante d’un de ses vieux esclaves, qui le laissa choir. Le verre s’alla briser sur le sol, tandis que Klakee-Nah, épuisé, se rejetait en arrière, haletant mais satisfait. Car ses convives, après avoir tous vidé leurs verres, l’applaudissaient à tout rompre.

Il fit un signe à ses quatre esclaves, pour qu’ils l’aidassent de nouveau à se redresser. Il était très