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chef de la tribu, l’ami des missionnaires et des trafiquants étrangers, un homme fort, taillé comme un hercule avec des yeux bons et des façons impérieuses, et qui trahissait, tant par ses larges enjambées que par la noblesse générale de son allure, la haute conscience qu’il avait de sa valeur.

— Réponds-lui que je viendrai, déclara El-Sou. Ce fut, parmi les Sœurs, une grande désolation. Le tison tiré du feu y retournait. Prières et supplications furent vaines. Inutilement, on tenta de raisonner la jeune fille. Il y eut même des sanglots et des larmes.

Sœur Alberta dévoila à El-Sou le projet ébauché, de l’envoyer aux États-Unis. L’Indienne écarquilla de grands yeux, devant la perspective dorée qu’on ouvrait devant elle. Mais elle secoua la tête et refusa.

Une autre vision lui emplissait les yeux. Celle de la courbe majestueuse du Yukon, vers le Poste de Tana-Naw et vers le village peau-rouge qui l’avoisinait. Et, dans ce village, celle d’une grande maison, construite avec des rondins, où l’attendait un vieillard entouré des seuls soins de ses esclaves.

Tous les riverains du Yukon, à deux milles alentour, connaissaient la grande maison de rondins et le vieillard qui l’habitait avec ses serviteurs. Les Sœurs de la Sainte-Croix ne l’ignoraient pas non plus, et elles savaient la vie désordonnée que l’on y menait, les réjouissances et les bombances sans fin auxquelles se complaisait le vieux chef. Voilà pourquoi elles pleurèrent tant, lorsque partit El-Sou.

*

Dès son arrivée, El-Sou fit sentir son autorité. Elle fit opérer un nettoyage général de la grande maison, dérangea et rangea tout. Klakee-Nah commença par protester. Mais il finit par laisser faire sa fille et,