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l’idée prenait forme et se précisait. Lorsqu’elle fut à point, son visage tourmenté se détendit et s’irradia tout entier d’une bienfaisante sérénité.

Se tournant alors vers le croupier, il lui prit la main et parla avec solennité :

— Tu es mon ami, le Frisé… Voici ma main… Pince-la bien… Il n’y a rien de fait ! Je ne vends pas ! Je ne veux pas fourrer dedans un vieux poteau… Non ! non ! Jamais je ne fournirai à un quelconque gredin l’occasion de déclarer que Marcus O’Brien a profité de ce qu’un copain était saoul pour le voler. Je viens seulement d’y songer… Oui, je n’y avais pas songé encore… C’est bizarre, mais c’est ainsi… Car tu es saoul, le Frisé ! Saoul perdu ! Voyons, Frisé, mon bon, mon petit Frisé, suppose un instant qu’il n’y ait pas d’or pour dix mille dollars, dans mon sacré filon… Je t’aurais volé ! Non, Monsieur ! Non, je ne ferai pas cela ! Marcus O’Brien est là pour soutirer de l’or au sol, et non à ses amis !

Percy Leclaire et Mucluc Charley étouffèrent les objections du croupier sous leurs applaudissements frénétiques d’un sentiment si noble. Tous deux se jetèrent tendrement au cou de Marcus O’Brien et débitèrent à son adresse un tel déluge de compliments qu’ils n’entendaient même pas Jim le Frisé, qui proposait d’insérer dans le contrat une clause supplémentaire, prévoyant qu’au cas où le filon ne produirait pas les dix mille dollars escomptés, le surplus du prix d’achat lui serait remboursé.

Il fut impossible au Frisé d’arrêter l’intarissable flot. Les trois hommes, réunis contre lui, l’inondaient de leurs discours philanthropiques, de leurs nobles et larmoyantes déclarations. Nul motif d’un gain sordide ne pouvait avoir place en leurs âmes. Leur devoir était de le sauver, lui, le Frisé, de lui-même et de son excessive bonté. La vertu doit seule régner sur le monde. Tous les hommes sont frères en elle. Et le trio