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« Nul doute que cette sortie intempestive de Dave Walsh n’eût profondément impressionné Braise d’Or. Jusque-là, tandis qu’elle traitait sans la moindre pitié tous ses prétendants, quels qu’ils fussent, ceux-ci, devant elle, faisaient les chiens couchants, estimant qu’une créature, frêle et délicate comme elle, ne devait être, en aucun cas, brutalisée. Elle ignorait tout de ces façons, jusqu’à l’instant où cet énorme taureau de Dave Walsh, ce colosse de six pieds quatre pouces, lui saisit l’épaule dans sa poigne de fer et lui jura qu’elle serait sienne jusque dans la mort. Et bien d’autres choses encore.

« Dave partit donc et l’hiver suivit son cours.

« Or, il se trouvait à Dawson, cet hiver-là, un musicien, un ténor, bien peigné et pommadé, semblable en tout à ceux que nous expédie l’Italie. De cet homme Braise d’Or s’amouracha.

« Peut-être, pour atteindre son but, eut-il recours à l’hypnotisme. Je l’ignore. Car, au fond, elle semblait sincèrement aimer Dave Walsh. Peut-être encore celui-ci l’avait-il sottement effrayée de par ses menaces.

« Toujours est-il qu’elle se laissa glisser vers le musicien. Ce n’était pas, au demeurant, un professionnel, ni un mangeur de macaroni, comme il en avait l’air. Mais un comte russe authentique. Il jouait du piano et du violon, et chantait aussi fort bien, par ma foi, tant pour son propre plaisir que pour celui des gens qui l’entendaient. Il était très riche, par surcroît. Mais ce n’est pas là, je le déclare, ce qui attira vers lui Braise d’Or. Braise d’Or se moquait de l’argent comme un poisson d’une pomme. Elle était volage, mais point vénale.

« Je continue. Elle était donc fiancée à Dave et Dave devait revenir à Dawson, pour l’épouser, par le premier vapeur qui remonterait le Yukon. On était alors au printemps de 1898, et on attendait le vapeur pour le milieu de juin.