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BELLIOU-LA-FUMÉE

crépuscule, ils devaient y tailler un emplacement pour le canot, puis transporter l’équipement à terre, parfois à des trentaines de mètres de distance. Le matin, ils dégageaient l’embarcation et la ramenaient dans le courant. Le Courtaud avait monté le poêle de tôle dans le bateau, et, pendant d’interminables heures, Stine et Sprague restaient penchés dessus. Ils s’étaient soumis, avaient renoncé à donner des ordres, et leur seul désir était d’arriver à Dawson.

À de fréquents intervalles, le Courtaud, toujours pessimiste, mais joyeux et infatigable, se mettait à beugler les trois seuls vers qu’il sût du premier quatrain d’une chanson oubliée. Plus il faisait froid, plus il les répétait :


Pareils aux marins de l’antique Argo,
Nous nous embarquons sur notre cargo
Pour aller rafler la toison dorée !


Quand ils passèrent devant les embouchures de l’Houta-Linqua, du Grand et du Petit Saumon, ces affluents déversaient dans le Yukon une bouillie qui s’amassait autour du bateau et s’y attachait, si bien que le soir ils furent obligés de casser la glace autour de l’embarcation pour la retirer du courant ; et le lendemain matin, pour l’y remettre, ils durent employer le même procédé.

Ils passèrent leur dernière nuit à terre entre les embouchures du Fleuve Blanc et du Stewart. À l’aurore, ils virent que le Yukon, large de huit cents mètres à cet endroit, n’était plus qu’une blancheur mouvante entre deux banquises immobiles.

Le Courtaud maudit la création avec moins de bonne humeur que de coutume, et regarda Kit.